365bet

Journal of the European Ayurvedic Society

by Inge Wezler | 1983 | 464,936 words

The Journal of the European Ayurvedic Society (JEAS) focuses on research on Indian medicine. Submissions can include both philological and practical studies on Ayurveda and other indigenous Indian medical systems, including ethnomedicine and research into local plants and drugs. The “European Ayurvedic Society� Journal was founded in 1983 in Gronin...

Yukti, the fourth means of knowledge for physicians

[Full tittle: Yukti, le quatrieme pramana des medecins (Carakasamhita, Sutrasthana XI, 25) / by Pierre-Sylvain Filliozat]

Warning! Page nr. 40 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

La Carakasamhita contient des remarques methodologiques et epistemologiques precieuses pour l'histoire du travail intellectuel dans l'Inde ancienne. Car ce sont des notations authentiques nous montrant la conscience que des createurs de la science indienne avaient des techniques de leur metier en particulier et du fonctionnement de la raison en general. Ces remarques sont disseminees dans l'ensemble de l'ouvrage, trouvant leur place avec opportunite dans des contextes divers. La plus importante est sans doute celle qui fait l'objet d'un chapitre particulier, Vimanasthana IV, appele Trividharogavisesavijnaniya. Elle consiste en une analyse des moyens de connaitre les caracteres specifiques des maladies (rogavisesavijnana). Ils sont au nombre de trois: aptopadesa ou enseignement par des personnes qualifiees, pratyaksa ou observation directe par les organes des sens, anumana ou inference. La tradition lettree de l'ayurveda a retenu cette analyse et a limite a ce nombre de trois les moyens d'atteindre une connaissance exacte ou pramanas. Dans un autre contexte, celui des aspirations de l'homme, une nouvelle analyse des pramanas est presentee. Elle en introduit alors un quatrieme, appele yukti. Ce n'est plus le sujet unique du chapitre qui, intitule Tisraisaniya, est principalement consacre aux trois aspirations (esana) humaines. L'histoire a quelque peu oublie cette analyse ou, quand elle s'en est occupee, cela a ete pour la ramener au schema fondamental des trois pramanas, en rattachant le quatrieme a l'un des trois ou a quelque autre lieu de la logique. Le but de cet article est d'examiner de pres la definition de ce quatrieme pramana (Sutrasthana XI,25) avec des exemples (23-24;32) et de passer en revue les diverses interpretations de ce texte. Il faut d'abord rappeler le contexte dans lequel il s'insere. Atreya engage l'expose sur trois aspirations de l'homme, vers la vie, les biens materiels et l'au-dela. Comme le fait entendre le commentateur Cakrapani, l'homme se distingue de la bete par ces trois aspirations2. C'est donc une donnee fondamentale de la nature humaine que de poursuivre ces trois buts. L'homme dont les facultes naturelles, physiques, intellectuelles et morales n'ont pas ete atteintes, cherche les moyens de satisfaire a ces trois aspirations (esana). Ce sont d'abord la prana-esana, le terme prana 'souffle' referant a la vie en general, et la dhana-esana ou dhana 'richesse' connote tout bien materiel, toute activite estimables (avigarhita) et servant a la subsistance (vrtti) ainsi qu'au progres (pusti). La troisieme, paraloka-esana, pose un probleme particulier, parce que son existence meme 1 Toutes nos references a: The Charakasamhita by Agnivesa revised by Charaka and Dridhabala, With the Ayurveda-Dipika Commentary of Cakrapanidatta, ed. by Vaidya Jadavji Trikamji Acharya, Bombay (Nirnaya Sagar Press) 3 rd edition 1941. 2 kurvan ya eva purusa esanatrayam anvisyati sa eva puruso bhanyate nanyah pasutulyatvad ... (p.67, col. b). ...

Warning! Page nr. 41 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

peut etre mise en question. Paraloka peut se traduire par 'autre monde', mais connote aussi d'autres notions que celle d'un monde, svarga ou autre, ou l'homme va apres la mort. Loka a une acception ancienne et classique plus large. Il refere a toute recompense que l'homme peut recevoir apres la mort3 ou meme de facon encore plus generale a toute retribution de ses actes. De fait Caraka dans le present contexte prend ce terme comme referant precisement a la renaissance (punarbhava). Ceux qui mettent en cause l'existence de quelque chose apres la mort sont appeles nastika. Caraka les presente en precisant la raison sur laquelle ils se fondent: santi hy eke pratyaksaparah paroksatvat punarbhavasya nastikyam asritah: 'il en est quelques-uns qui se vouent a la seule observation par les sens et adoptent la these de l'inexistence de la renaissance, parce que cela est au-dela des sens'. A cela Caraka oppose l'attitude de celui qui est buddhimant c'est-a-dire possesseur de la faculte de connaitre et use de cette faculte pour acquerir des connaissances echappant aux sens. L'homme a la faculte de voir plus loin que ce a quoi ses sens lui donnent acces: tatra buddhiman nastikyabuddhim jahyad vicikitsam ca. kasmat. pratyaksam hy alpam; analpam apratyaksam asti, yad agamanumanayuktibhir upalabhyate. yair eva tavad indriyaih pratyaksam upalabhyate, tany eva santi capratyaksani: 'A ce propos l'homme doue de la faculte de connaitre doit laisser la these de l'inexistence [de ce qui est au-dela des sens] et le doute. Comment cela? Ce qui est accessible aux sens est peu de chose, ce qui leur est inaccessible et qui est saisissable par la tradition, l'inference et la yukti, n'est pas peu de chose. Les sens par qui le perceptible est saisi, sont des objets inaccessibles a eux-memes.' Une remarque s'impose. Il y a ici un refus du doute a l'egard de l'au-dela et une confiance remarquable accordee aux pouvoirs de l'homme de le connaitre avec certitude. Mais ces pouvoirs sont bien delimites dans le cadre du rationnel. Et il y a une demonstration de la realite de ce pouvoir par l'argument tire de la non-perceptibilite des sens par eux-memes. L'evidence de la realite des objets non perceptibles que sont les sens fonde la confiance dans le pouvoir de la raison d'acceder a autre chose qu'au domaine du perceptible, etablit cette accession comme une attitude rationnelle. Cette affirmation de l'existence de pouvoirs de la raison est suivie de la definition des quatre moyens enumeres avec des exemples et une application au contexte, a savoir la demonstration de la theorie de la transmigration. A la fin de ce developpement, en refe- A rence aux quatre moyens enumeres, definis et illustres, Caraka emploie le terme consacre de pramana (evam pramanais caturbhir upadiste punarbhave, p.73,col.b). La definition de la yukti est la suivante: buddhih pasyati ya bhavan bahukaranayogajan yuktis trikala sa jneya trivargah sadhyate yaya (25): 'La pensee qui voit des choses nees d'un concours de causes multiples, [dont l'objet est] des trois temps, par quoi la classe des trois [aspirations] est realisee, doit etre connue comme etant la yukti.' 3 Voir P.-S. Filliozat, 'The after-death destiny of the hero according to Mahabharata', dans Memorial Stones, a study of their origin, significance and variety, Dharwar (Institute of Indian Art History, Karnatak University) and Heidelberg (South Asia Institute, University of Heidelberg) 1982, p.3-8.

Warning! Page nr. 42 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

P.-S. Filliozat, Yukti, le quatrieme pramana des medecins... Avant meme la definition le texte a donne plusieurs exemples: jalakarsanabijartusamyogat sasyasambhavah yuktih saddhatusamyogad garbhanam sambhavas tatha (23) mathyamanthanamanthanasamyogad agnisambhavah bayuktiyukta catuspadasampad vyadhinibarhani (24): on 'La naissance d'une recolte de cereales a partir du concours de l'eau, du labour, de graines et de la saison est une yukti, ainsi que la naissance d'un embryon a partir du concours de six elements, ainsi que la naissance du feu a partir du concours du combustible a baratter, du batteur et de la rotation de ce dernier; possedant une relation de concours mutuel, les quatre piliers de la medecine, sous leur forme accomplie, eliminent la maladie.' 35 La lecture litterale de ce texte montre une mise en evidence de l'idee d'union, de concours de causes multiples de nature diverse, matiere, agent, circonstance, action, menant a la realisation d'un effet. L'ablatif samyogat dans les trois premiers exemples presente le concours comme la cause directe de la realisation de l'effet. L'idee de concours est encore renforcee dans l'enonce du quatrieme exemple par l'expression plus forte yuktiyukta: c'est s'il y a concours des quatre acteurs du traitement medical que l'effet cherche, la guerison, se realise. Enfin etymologiquement yukti est un derive primaire de la racine yuj 'etre uni'. Le suffixe -ti sert a former des noms a sens ambivalent, action et objet d'action, comme krti 'acte' et 'oeuvre'. Dans yuktiyukta, yukti refere a l'idee du concours des causes comme samyoga dans les exemples precedents. Dans yuktih, c'est-a-dire quand il y a reference au quatrieme pramana, d'apres les exemples donnes yukti designe l'effet resultant d'un concours de causes, donc le resultat de l'action d'union de l'effet a ses causes. Le pramana apparait etre ici l'operation de l'esprit qui ajuste un effet a un ensemble de causes et non pas a une seule. Il differerait de l'inference qui serait la simple reconnaissance d'une chose a partir d'un signe, par exemple un effet a partir d'une seule cause, ou la prevision d'un fruit a partir d'une graine. La definition reprend bien l'idee de l'union des causes multiples produisant un effet (bahukaranayogaja). Elle precise aussi que la yukti est une 'pensee qui voit' cet effet naitre du concours des causes. C'est donc bien l'operation de l'esprit qui envisage une multiplicite de facteurs et deduit de leur concours la naissance d'un effet. Le terme 'pensee' (buddhi) refere au travail de l'esprit en dehors de l'activite des sens. Le resultat obtenu, l'effet issu de l'union des causes, est signifie par le terme bhava, lequel, souvent explique comme derive du causatif bhavayati 'faire etre', designe une chose en tant que produite, en particulier un produit de l'esprit, une idee, une nouvelle connaissance acquise a l'issue d'une operation de pensee. Le terme trikala qualifie buddhih grammaticalement, mais qualifie en fait l'objet de cette operation de l'esprit. On comprend que ce qui est determine ainsi appartient aux trois temps, que cela est donc une verite generale. Les exemples donnes sont eux aussi des theses generales, la production des cereales a partir de conditions donnees, etc. 4 Voir Sarirasthana IV,6: 'l'embryon est une transformation [des cinq elements,] vide, vent, feu, eau, terre et est le support de la conscience'. 5 Litteralement les quatre pieds. Ce sont le medecin, le malade, le traitement et l'infirmier. Voir Susrutasamhita, Sutrasthana XXXIV.

Warning! Page nr. 43 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

Enfin la definition apporte une derniere idee. La yukti sert a realiser le trivarga. Ceci est la denomination classique des trois buts de l'homme (purusartha): kama, artha, dharma. Ces termes peuvent etre mis en correspondance avec les trois esana du present chapitre, prana, dhana, paraloka. Le present contexte illustre cette idee. La yukti est un quatrieme pramana qui apparait comme necessaire pour prouver l'existence de la theorie de la transmigration, les trois autres pramanas ne suffisant pas. Elle est donc utile a la realisation de la troisieme esana, le paraloka. Car sans la connaissance de l'audela et sans la possession de moyens de le connaitre l'aspiration ne pourrait etre satisfaite. D'autre part la recherche de connaissances relatives a un au-dela ne se justifie qu'en reponse a cette aspiration qui est une donnee elementaire de la nature humaine. Elle ne serait pas bien fondee si elle etait totalement gratuite. Il est necessaire d'examiner comment la yukti se distingue de l'inference. Celle-ci est definie et illustree par Caraka de la facon suivante dans le meme chapitre et contexte: pratyaksapurvam trividham trikalam canumiyate vahnir nigudho dhumena maithunam garbhadarsanat (21) evam vyavasyanty atitam bijat phalam anagatam drstva bijat phalam jatam ihaiva sadrsam budhah (22). La definition est la proposition pratyaksapurvam trividham trikalam ca ou anumanam est sous-entendu: 'l'inference est precedee d'une observation par les sens, est de trois sortes et [son objet] est des trois temps". Un premier exemple, l'inference d'un objet present, reposant sur une observation generale, est donne dans la proposition: anumiyate |vahnir nigudho dhumena: 'un feu cache est infere d'une fumee'. Un deuxieme exemple est celui de l'inference d'une cause passee a partir de son effet, un troisieme exemple est celui de l'inference d'un effet futur a partir de sa cause; et ils sont tous les deux groupes dans la phrase allant de maithunam ... a ... budhah: 'les bons esprits, apres avoir vu un fruit ne d'une graine, de la vue de la grossesse concluent a une union sexuelle passee, de la vue d'une graine a un fruit futur conforme a elle�8. Ces exemples d'inference et de yukti presentent les differences suivantes. Ceux d'inference mettent en rapport un terme ponctuel avec un autre aussi ponctuel, alors que ceux de yukti mettent en relation de cause a effet un terme avec un ensemble de causes, le concours des causes etant le facteur determinant de la relation de cause a effet et etablit cela a titre general. Le caractere ponctuel du terme infere fait qu'il appartient a un seul des trois temps, alors que dans la yukti la these generale etablie appartient aux trois temps. Les exemples d'inference sont en fait la reconnaissance d'un terme a l'aide d'un signe. Les exemples de yukti sont des theories generales ayant la forme d'un rapport de causalite. Les definitions revelent une autre difference importante. L'inference repose sur une observation initiale par les sens. Mais un tel prealable n'est pas mentionne dans la definition de la yukti. Nous avons vu qu'au contraire tous les termes de cette definition concourent a la faire comprendre comme une pure operation 6 Voir A. Rosu, 'Etudes ayurvediques. I. Le trivarga dans l'Ayurveda', dans Indologica Taurinensia (Torino) VI.1978, p.255-260. Cette definition ressemble au Nyayasutra I.1,5: atha tatpurvakam trividham anumanam purvavac chesavat samanyato drstam ca, par la reference au pratyaksa comme prealable, et par la classification en trois varietes, mais en differe en ce qu'elle ne nomme pas les trois varietes et ajoute la qualification trikalam. 8 Atitam se contruit avec maithunam, ihaiva sadrsam avec bijat phalam anagatam.

Warning! Page nr. 44 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

P.-S. Filliozat, Yukti, le quatrieme pramana des medecins... 37 de la raison. Dans la yukti c'est l'esprit qui etablit le rapport de cause a effet entre le concours des causes et un objet. Dans l'inference ce sont les sens qui etablissent une fois la relation entre deux termes, le feu et la fumee par exemple; l'exemple observe directement sert de base a l'operation ulterieure de l'esprit qui permet de passer d'un terme a l'autre, s'il est cache aux sens. Une fois definitions et exemples donnes pour les quatre pramanas, Caraka revient au contexte et fait une demonstration de l'existence de la transmigration. Il recourt aux quatre moyens de connaissance. La yukti etablit la theorie de la facon suivante: yuktis caisa - saddhatusamudayad garbhajanma, kartrkaranasamyogat kriya; krtasya karmanah phalam nakrtasya, nankurotpattir abijat; karmasadrsam phalam, nanyasmad bijad anyasyotpattih; iti yuktih (32): 'Et la yukti est la suivante: de l'agregat de six elements nait un embryon, du concours de l'agent et de l'instrument nait l'action; il y a un fruit pour l'action accomplie, non pour celle qui n'a pas ete accomplie, il n'y a pas naissance du germe sans graine; le fruit est semblable a l'acte, d'une graine ne nait pas autre chose; telle est la yukti.' On reconnait dans la premiere proposition le premier exemple de yukti donne cidessus. La deuxieme proposition repond exactement a la definition et est aussi une yukti par elle-meme. Mais on peut aussi les considerer ensemble et l'on voit qu'elles tendent toutes deux a conduire a la meme these. La premiere attache le phenomene de la naissance a la presence de la conscience permanente dans la matiere perissable, la seconde attache l'action a l'existence d'un agent. Les deux reunies menent a l'idee d'ame sujet de la naissance et de l'acte. Les deux propositions suivantes se regroupent pour mener a l'idee qu'un acte est le fruit d'un acte anterieur, ne sort pas de rien. Les deux dernieres concourent a montrer la conformite du fruit de l'acte a l'acte anterieur qui en est la cause. Chacun de ces couples de propositions peut donc etre pris pour une yukti. On peut considerer aussi que l'ensemble des conclusions de ces trois yuktis forme lui-meme une yukti, en ce que le concours de ces trois conclusions mene a la theorie de la renaissance de l'ame en retribution des actes anterieurs, conditionnee caractere. par leur Les termes d'ou part ici le raisonnement sont des idees deja formees et admises. Chacune peut etre prise comme raison de la these. De plus l'esprit envisage leur concours et conclut de l'ensemble des raisons a la these de la renaissance. Il est clair que ce n'est pas le mecanisme de l'inference partant d'une perception ou operation des sens. C'est un raisonnement complexe qui conduit a une nouvelle idee par la prise en consideration du concours de multiples facteurs. Voici donc ce que fait entendre une lecture de ce court passage du chapitre Tisraisaniya pris isolement en lui-meme. A notre connaissance il n'y a pas d'autre texte dont la lecture pourrait conduire aux meme idees. Pas meme dans la Carakasamhita. Sans doute le terme yukti est-il souvent employe. Mais c'est avec d'autres sens ou valeurs. On ne le rencontre plus comme nom technique d'un quatrieme pramana distingue des autres par des traits bien definis. Yukti est un terme general pour tout raisonnement ou pour un argument rationnel, une raison en tant que justification. Il est alors glose par upapatti. D'autre part Caraka l'emploie dans une classification des therapeutiques: trividham ausadham-daivavyapasrayam, yuktivyapasrayam, sattvavajayas ca »>, 'la therapeutique est de trois sortes: ce qui est fonde sur le divin, ce qui est fonde sur la yukti et la victoire sur le psychisme'. Caraka explique la variete yuktivyapasraya

Warning! Page nr. 45 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

comme ce qui est fonde sur aharausadhadravyanam yojana c'est-a-dire l'aptitude des substances de nourriture ou medicaments [au traitement des troubles]". Un autre emploi remarquable est celui de yukti comme nom technique d'une des qualites qui assurent l'efficacite du traitement (siddhyupayas cikitsayah) et dont la connaissance permet au medecin d'agir convenablement. La yukti est alors definie comme yojana ya tu yujyate: c'est la relation de la therapeutique avec le mal et 'celle qui convient', donc son aptitude a soigner10. Enfin un autre emploi du mot yukti est celui que l'on trouve dans l'autre definition de l'inference donnee dans le chapitre Trividharogavisesavijnaniya du Vimanasthana: anumanam khalu tarko yuktyapeksah, 'l'inference est un raisonnement fonde sur la yukti', mais le texte ne dit rien de plus, ne donne pas la moindre explication sur ce terme dont depend l'operation. En prenant yukti dans son sens etymologique d'union, relation', on peut legitimement penser avec le commentateur Cakrapani qu'il s'agit d'une reference a la notion de concomitance generale entre le terme servant de signe et le terme a prouver, entre la fumee et le feu dans l'inference du feu a partir de la fumee. Mais il parait difficile de faire entrer le quatrieme pramana defini ci-dessus dans le cadre de cet element composant de l'inference. Il n'est pas non plus la tantrayukti ou regle d'interpretation permettant la comprehension et l'utilisation pratique d'un traite technique. Ce passage relatif au quatrieme pramana nous parait donc etre unique de son genre dans l'ensemble de la Samhita. Ce quatrieme pramana n'a pas non plus eu la fortune des trois autres. La yukti ne fait pas partie des listes de pramana communement admises et discutees dans les diverses ecoles d'epistemologie. A notre connaissance un seul penseur, Santaraksita, s'est interesse au texte de Caraka la concernant, pour critiquer l'idee de la compter comme quatrieme pramana. Ce passage n'a donc pas ete oublie, meme s'il n'a pas ete accepte. Le philosophe bouddhiste passe en revue tous les pramanas definis dans les ecoles qu'il connait, en fait l'examen et la critique. Il les rejette tous sauf deux, l'observation directe et l'inference. Sa critique generalement consiste a montrer qu'il n'y a pas de critere distinguant telle operation d'acquisition d'une connaissance de l'un ou l'autre des deux seuls pramanas fondamentaux. Dans ce contexte il considere la yukti de Caraka pour conclure que ce n'est qu'une forme d'inference. Il ne reproduit pas le texte de Caraka, mais donne une definition originale et attribue a Caraka, en le citant nommement, l'idee que c'est un pramana distinct. yasmin sati bhavaty eva na bhavaty asatiti ca tasmad ato bhavaty etad yuktir esabhidhiyate (2692) pramanantaram evedam ity aha carako munih nanumanam iyam yasmad drstanto 'tra na vidyate (2693):11 9 Sutrasthana, XI,54. Voir A. Rosu, Les conceptions psychologiques dans les textes medicaux indiens, Paris (Institut de civilisation indienne) 1978, p.104. 10 Sutrasthana XXVI,31. Voir S. Dasgupta, A History of Indian Philosophy, Cambridge (University Press) 1932, vol.II, p.370. 11 Tattvasamgraha of Santaraksita with the Commentary of Kamalasila, ed. Embar Krishnamacharya, vol.I, Baroda (Oriental Institute) 1926 (Gaekwad's Oriental Series XXX). Cakrapani cite ce texte avec de nombreuses variantes. Santaraksita a traite de deux pramana, yukti et anupalabdhi en meme temps. Cakrapani n'a voulu citer que ce qui etait relatif a la yukti. En eliminant tout ce qui concernait l'autre pramana il a ete amene a reecrire ce qui concernait le premier, afin de preserver l'integrite du metre. Les

Warning! Page nr. 46 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

P.-S. Filliozat, Yukti, le quatrieme pramana des medecins... 39 'Telle chose existe quand telle autre existe, n'existe pas si l'autre n'existe pas; donc elle est issue de cette autre. Ceci est appele yukti. L'ermite Caraka dit que c'est bien un autre pramana. Ce n'est pas une inference, parce qu'il n'y a pas d'exemple pour cela.' Kamalasila commente: etadbhavabhavitvena ya tatkaryatapratitir iyam yuktih. iyam ca savikalpakatvan na pratyaksam. napy anumanam drstantabhavat. tatha hi drstanto 'pi, ata eva tadbhavabhavitvat tatkaryatapratipattih, tatrapi drstanto 'nyo 'nvesaniyah, tatrapy apara ity anavastha syat. tasmat pramanantaram yuktir ity aha carako vaidyah: 'La yukti est la comprehension qu'une chose est l'effet d'une autre parce qu'elle existe quand cette autre existe. Elle n'est pas une perception, parce qu'elle comporte une vue de l'esprit12. Elle n'est pas non plus une inference, parce qu'elle ne comporte pas d'exemple. En effet meme s'il y en a un exemple, on en deduira qu'il y a comprehension de la qualite d'effet par la qualite d'exister en meme temps; mais il faudra chercher un nouvel exemple de cela, [en tirer la meme conclusion, puis] encore un exemple a cela. Il y aura indetermination. C'est pourquoi le medecin Caraka dit que la yukti est un autre moyen de connaissance.' La yukti presentee ici par Santaraksita est un raisonnement comportant deux operations, la constatation d'une concomitance constante entre deux termes et la conclusion de cela a une relation de cause a effet entre eux. D'autre part il donne l'absence d'exemple comme trait distinguant cette yukti de l'inference. Kamalasila ajoute un trait la distinguant de la perception, le fait qu'elle comporte une vue de l'esprit. Au premier abord on ne trouve rien d'absolument semblable dans la Carakasamhita. Mais une recherche plus approfondie de la source de Santaraksita ne nous conduit a rien d'autre qu'au passage etudie ci-dessus. Cakrapani, d'ailleurs, nous invite a chercher au meme endroit, en ce que dans son commentaire de ce passage particulier il a juge utile de citer le texte de l'auteur du Tattvasamgraha et de son commentateur. Il n'en reste pas moins que la difference entre les deux definitions apparait grande et que la reference expresse a Caraka chez Santaraksita surprend toujours quelque peu. S. Dasgupta va jusqu'a dire: 'Santaraksita misrepresents Caraka's view of yukti in a very strange manner ... This [i. e. what Santaraksita says] is entirely different from what Caraka says, as is pointed out by Cakrapani'. En effet, Cakrapani declare qu'il n'a pas a repondre a la critique de Santaraksita et de Kamalasila, parce qu'il n'accepte pas la yukti telle qu'ils la representent: etau ca purvapaksasiddhantau evambhutayuktyasvikarad evapratividheyau. En fait Cakrapani a une interpretation particuliere de la yukti de Caraka, interpretation que nous examinerons ci-dessous et qui n'est pas celle de Santaraksita. Cette derniere merite cependant d'etre examinee de pres. L'assertion de S. Dasgupta qu'elle detourne le texte de Caraka de son sens, est quelque peu exageree et doit etre variantes sont considerables, mais de pure forme. Elle ne changent pas l'intention du texte original. Nous reproduisons ici la forme donnee par Cakrapani, a quelques details formels pres empruntes a l'edition de Baroda. 12 Les bouddhistes tiennent la perception comme ne comportant pas de conceptualisation ou operation de l'esprit surajoutee a l'experience (kalpanapodha). Meme pour Caraka elle est la connaissance claire qui se forme a partir du contact des sens, du manas et des objets, dans le moment du contact (tadatve) Sutrasthana XI,20.

Warning! Page nr. 47 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

$ 40 Journal of the European Ayurvedic Society 1 (1990) nuancee. La difference entre les deux definitions est peut-etre plus apparente que reelle. Ou du moins on peut etablir qu'elles ne s'excluent pas, que la seconde peut etre deduite logiquement de la premiere. Santaraksita met en evidence deux points: l'etablissement d'une relation de cause a effet; le fait que l'operation de l'esprit se situe au-dela de la perception et sans son concours. L'on a vu que ces deux idees sont bien presentes dans la definition et les exemples de Caraka. L'element qui semble en evidence chez le medecin et qui manque chez le bouddhiste est le concours des causes. D'autre part Santaraksita met en relief l'operation d'etablissement de la concomitance des termes examines, ce dont Caraka ne parle pas. Les deux definitions s'accordent sur la derniere operation, l'etablissement de la relation de cause a effet. Elles ne sont pas en desaccord sur le prealable de cette operation. Chacune en cite un possible, existant logiquement. Mais elles ne presentent pas le meme. Il y a donc malgre tout une parente entre les deux definitions. Pourquoi Santaraksita a-t-il recouru a une formulation differente et introduit un element non formule chez Caraka? C'est sans doute parce qu'il a reflechi sur le texte de Caraka et l'a repense dans le vocabulaire et la culture epistemologique de son temps. Caraka appartient a l'antiquite. Au Moyen Age Santaraksita ne pouvait pas faire abstraction de notions mises en evidence dans l'intervalle de temps si riche en reflexions qui le separe de son predecesseur. Il fait intervenir le prealable de la concomitance constante des deux termes pour etablir la relation de causalite, parce que la reflexion sur ce prealable avait historiquement pris de plus en plus d'ampleur et qu'il paraissait qu'on ne pouvait pas ne pas la mentionner. Son actualisation ne trahit pas forcement la pensee de Caraka. Elle met au jour un element important que la formulation de son predecesseur n'exprimait pas, mais ne pouvait pas ne pas impliquer. Santaraksita retient donc de la yukti la conclusion a une relation de causalite a partir d'une concomitance d'existence et d'inexistence de deux termes. Cette nouvelle presentation de la yukti la rapproche beaucoup de l'inference classique. Il ne lui est pas difficile de demontrer qu'elle ne se distingue pas de l'inference. Rappelons l'argument qu'il prete a Caraka pour prouver la difference des deux pramana, celui de l'absence d'exemple ou drstanta, chose, remarquons-le, dont Caraka ne parle pas, et c'est peut-etre sur ce point que le bouddhiste outrepasse le plus la reflexion du medecin. Kamalasila explicite cet argument de la facon suivante. Supposons que l'on ait un exemple de concomitance de deux termes. On en conclut que l'un est cause de l'autre. Mais il faut aussi trouver un exemple de concomitance entre la dite concomitance et la dite relation de causalite. S'engager sur cette voie mene a une impasse, car s'il faut un nouvel exemple pour passer de la concomitance a la conclusion, il n'y aura pas de fin, tant que l'on visera a faire une conclusion. La reponse a cet argument est qu'il n'y a pas difference entre la concomitance et la relation de causalite. Et s'il n'y a pas de difference entre les deux, il n'y a pas de yukti pour passer de l'une a l'autre. karyakaranabhavasya pratipattir na samgata tasmad asyam na bhedo 'sti sadhyasadhanayor yatah: 'La dite comprehension d'une relation de cause a effet [a partir de la concomitance] n'est pas correcte, parce qu'il n'y a pas de difference entre la preuve et la chose a prouver.'

Warning! Page nr. 48 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

P.-S. Filliozat, Yukti, le quatrieme pramana des medecins... Kamalasila commente: yuktau na sadhyasadhanayor bhedah; tatha hi - atra tadbhavabhavita hetuh, karyakaranata ca sadhya, na canayor bheda upalabhyate paryayatvat tarupadapavat: 'Dans la yukti il n'y a pas de difference entre la chose a prouver et la preuve; en effet, le fait d'exister lors de l'existence de l'autre terme est la preuve, la relation de cause a effet est la chose a prouver, et l'on ne voit pas de difference entre ces deux choses, parce que ce sont des synonymes, comme les mots taru "arbre" et padapa "buveur [de seve] par le pied".' 41 Autrement dit la concomitance est la nature meme de la causalite. Elle ne peut donc en etre la preuve. Elle est la causalite meme. Arguera-t-on que l'on parle d'un tel rapport de preuve a conclusion entre la concomitance et la causalite, que cet emploi de mots existe et qu'une yukti est necessaire pour le fonder. Autrement dit l'on n'etablit pas que la concomitance est la raison qui etablit la causalite, mais qu'elle est la raison autorisant a parler de causalite. Santaraksita repond qu'un tel usage de parole repose sur une convention 13. Or le moment d'etablissement de la convention est l'exemple qui fonde la determination du rapport. L'on a donc bien ici un cas d'inference. Il n'y a pas de yukti qui soit un pramana different. tadbhavavyavahare tu yogyatayah prasadhane samketakalavijnato vidyate 'rtho nidarsanam: 13 'Mais pour etablir l'aptitude a etre traite dans un tel rapport [de preuve a conclusion] l'objet percu lors de la convention [d'etablissement d'un tel usage] est un exemple'. Kamalasila commente: atha matam - na karyakaranata sadhyate kim tarhi tadbhavavyavahara iti, tatraha tadbhavavyavahare ityadi; tasya hetuphalataya bhavas tadbhavah, tatra vyavaharo yah sa tadbhavavyavaharah jnanabhidhanapravrttilaksanam anusthanam, tasmin yogyata mudham prati sadhyate; [prayogas ca - ye yadvyaparanantaraniyatopalambhasvabhavas te tatkaryavyavaharayogyah, tad yatha -samketakalanubhutah kulaladivyaparanantara [niyata]upalambhasvabhavah ghatadayah, tathaca talvadivyaparanantaraniyatopalambhasvabhavah sabda iti svabhavo hetuh: 'Si l'on pense que ce n'est pas la relation de cause a effet qui est la chose a prouver, mais que c'est le fait de traiter cette relation comme telle, a cela l'auteur repond: tadbhavavyvahare.... vyavahara signifie l'execution d'un acte caracterisee par la mise en oeuvre de l'expression verbale de la connaissance; tadbhava signifie l'existence de cette relation de preuve a chose a prouver; l'aptitude [ de la concomitance a ce qu'on en parle comme causalite] est etablie pour le sot; [le raisonnement est le suivant:] les choses dont la forme propre a sa perception limitee a avoir lieu apres une activite de facteurs donnes sont aptes a etre traitees comme effets de ces facteurs, par exemple des pots ou autres objets qui, percus lors de l'etablissement de cette convention, sont tels que leur forme propre a sa perception limitee a avoir lieu apres l'activite du potier, etc., ou bien aussi des mots qui sont tels que leur forme propre a sa perception limitee a avoir lieu apres l'activite du palais, etc. Ainsi la nature [de la chose a prouver] est-elle le signe la prouvant ... .' 13 Quant a l'utilite de cette convention Kamalasila precisera qu'elle est enseignee a qui serait assez stupide pour ignorer l'evidence de l'equivalence des deux notions de concomitance et de causalite.

Warning! Page nr. 49 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

Il y a donc un exemple a l'origine du raisonnement qui conclut de la concomitance au fait de parler de causalite. Ceci est une inference. Cakrapani, nous l'avons vu, considere que ce n'est pas la la yukti de Caraka. Il comprend le texte de Caraka d'une facon tout a fait differente. Dans la definition il prend karana de bahukaranayogajan comme signifiant upapatti 'raison' et la racine Jjan du derive de fin de compose ja dans le sens de 'etre connu, compris'. La yukti est la pensee qui voit, c'est-a-dire prend pour objet des choses comprises a partir de nombreuses raisons. Et, ajoute-t-il, cette pensee est une conjecture (uha). evam anena bhavitavyam ity evamrupa uho 'tra yuktisabdenabhidhiyate; sa ca paramarthato 'pramanabhutapi vastuparicchede pramanasahayatvena vyapriyamanatvat, tatha tayaiva uharupaya prayo lokanam vyavaharad iha pramanatvenokta. ... trivargasadhakatvam ca trivargasadhanad eva, uhenaiva hi prayas trivarganusthane pravrttir bhavati; (pramanaparicchedena tu pracaro virala eva): 'Ainsi le mot yukti exprime ici une conjecture ayant la forme 'cela doit etre'. Et, bien qu'elle ne soit pas en realite un pramana, parce qu'elle est utilisee comme auxiliaire des pramana dans la delimitation d'une chose, elle est cependant mentionnee comme telle ici, parce que l'on fait presque toutes les choses de l'usage courant avec elle sous sa forme de conjecture. ... Et elle a la propriete de realiser la classe des trois fins de l'homme, parce que c'est sa seule realisation. En effet, c'est generalement par conjecture que l'on s'engage dans l'execution d'actes visant les trois fins; (mais il est rare que l'on se conduise avec delimitation exacte des choses par les pramana)14. Commentant l'application de la yukti a la demonstration de la renaissance, Cakrapani recourt au terme tarka qui est equivalent a uha et explique qu'il s'agit la d'une conjecture faite a l'aide d'arguments (upapatti) multiples. Deux points sont a noter ici. La yukti est refusee comme pramana, moyen de connaissance exacte. Mais elle est reconnue pour son utilite pratique dans l'usage courant. Cakrapani donne une raison a son attitude. C'est une raison de philologue. Il a note que dans d'autres passages de la Samhita trois pramanas sont mentionnes (Vimana IV) la yukti etant omise; ou, si quatre pramanas sont enumeres, ce n'est pas la yukti qui est incluse, mais l'upamana ou 'comparaison'. Il affirme qu'il en est ainsi dans le chapitre Rogabhisagjitiya (Vimana VIII). La comparaison apparait, en effet, dans ce chapitre dans la liste des procedes destines a procurer la victoire dans une discussion. Mais, meme dans cette liste, la yukti n'apparait pas. Cakrapani a conclu du caractere isole de la mention de la yukti comme pramana, alors que les trois autres sont mentionnes plusieurs fois dans les divers passages de la Samhita a sujet epistemologique, qu'il ne fallait pas prendre le present passage a la lettre. Et il lit a la place la notion de conjecture. Il y a une autre explication a cette lecture. Cakrapani est, encore plus que Santaraksita, tributaire de la culture logique de son temps. Il possede une tres grande erudition. En matiere de logique sa principale reference est le Nyayadarsana de Gautama et l'on peut parler d'une certaine obedience de sa part a cette ecole, en ce qui concerne les lieux de logique. Son actualisation des idees epistemologiques de Caraka est quasi systematique. Cela est particulierement sensible ici. Ce que dans le Nyayadarsana il 14 La proposition entre parentheses est dite par l'editeur ne pas figurer dans le manuscrit qu'il a utilise.

Warning! Page nr. 50 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

P.-S. Filliozat, Yukti, le quatrieme pramana des medecins... 43 trouve de plus proche de la yukti de Caraka est le tarka ou uha. Dans son interpretation de la yukti comme uha on retrouve des elements de la definition du tarka chez Gautama: avijnatatattve 'rthe karanopapattitas tattvajnanartham uhas tarkah (Nyayasutra I,1,40) 'relativement a un objet dont l'essence n'est pas connue le tarka est une conjecture pour connaitre cette essence a partir de l'explication des causes'. Cakrapani signale une autre interpretation du texte de Caraka, a laquelle il ne souscrit pas, pas plus qu'a celle de Santaraksita, mais qu'il n'attribue a aucun nom d'auteur. Ce serait de comprendre la yukti comme une prevision de l'effet a partir de ses causes. La critique evidente est qu'elle sera alors une simple inference. On ne pourra non plus dire qu'elle est trikala 'ayant un objet des trois temps', parce que son objet ne sera que futur.15 Historiens et philologues modernes n'ont pas manque de s'interesser a ce passage de la Carakasamhita. S'accordant a souligner l'interet des remarques epistemologiques du medecin de l'antiquite indienne, ils different souvent dans leur comprehension de la notion de yukti et dans la traduction du mot. S. C. Vidyabhusana qui, rassemblant divers elements de mythes, reconstituait une figure de fondateur de la philosophie et de la logique indienne dans Medhatithi Gautama et qui voyait dans la Carakasamhita 'a crude form' de sa theorie du raisonnement, 'a developed form' nous en etant parvenue dans le Nyayasutra, a ete un des premiers, vers 1920, a rendre justice au precieux contenu epistemologique de la Samhita medicale. Il traduit yukti par 'continuous reasoning', reproduit la definition en disant que ce terme 'refers to the knowledge which beholds conditions resulting from the co-operation of many causes and abiding in three times'. Il cite ensuite l'exemple demontrant la renaissance 16. Sa note breve nous parait etre tout a fait fidele au texte de Caraka proprement dit. S. Dasgupta a consacre a la yukti une note plus longue dans son analyse detaillee du contenu philosophique de la Carakasamhita.17 Il se revele beaucoup plus tributaire du commentaire de Cakrapani: 'When our intelligence judges a fact by a complex weighing in mind of a number of reasons, causes or considerations, through which one practically attains all that is desirable in life, as virtue, wealth or fruition of desires, we have what may be called yukti. As Cakrapani points out, this is not in reality of the nature of a separate pramana; but, since it helps pramanas, it is counted as a pramana. As an example of yukti, Caraka mentions the forecasting of a good or bad harvest from the condition of the ground, the estimated amount of rains, climatic conditions and the like. Cakrapani rightly says that a case like this ... is properly called uha and is current among the people by this name.' Cela ne reproduit qu'approximativement la pensee de Cakrapani et confond les deux theses signalees par 15 Le riche commentaire de Gangadhara reprend l'interpretation de Cakrapani et developpe encore la reference au nyaya. Voir Curakasamhita with Ayurvedadipika of Cakrapanidatta and Jalpakalpataru of Gangadhara, ed. by Kaviraja Sri Narendranatha Senagupta and Kaviraja Sri Balaicandra Senagupta, 3 vols. Kalikata 1849-1855. 16 Satis Chandra Vidyabhusana, A History of Indian Logic (Ancient, Medieval and Modern Schools), reprint Delhi (Motilal Banarsidass) 1978, p.28. 17 S. Op.cit. (voir note 10), p.375-376.

Warning! Page nr. 51 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

le commentateur, la conjecture (uha) et la prevision ('forecasting'), Cakrapani ne prenant pas a son compte la deuxieme. Dasgupta reproduit ensuite l'interpretation de Santaraksita. Assez curieusement il formule en note une extension de l'idee de yukti comme prevision en l'idee de yukti comme logique de la probabilite: 'Caraka's idea of yukti is the logic of probability, i.e. when from a number of events, circumstances, or observations one comes to regard a particular judgment as probable, it is called yukti. ... So far as I know, this is the only example of the introduction of the logic of probability in Indian thought'. Dans cette description on peut retenir l'emploi du terme de 'jugement' en tant qu'operation de l'esprit unissant divers elements, mais il est imprudent de parler d'une valeur de probabilite et improbable qu'elle appartienne reellement a la pensee de Caraka. Jean Filliozat, medecin et indianiste, s'est interesse a cette notion de yukti. C'est en praticien de la medecine, en meme temps qu'en historien et philologue, qu'il lisait le traite de medecine antique. Il en parlait souvent dans son entourage et dans son enseignement. C'est Monsieur Arion Rosu qui a le mieux recueilli et developpe son enseignement.18 J. Filliozat voyait la yukti de Caraka plus comme une description de la pratique du travail intellectuel d'un medecin, que comme une analyse epistemologique d'un proces logique. Les interpretations historiques de Santaraksita et de Cakrapani raccordent la yukti a des notions philosophiques abstraites forgees dans un contexte de speculations epistemologiques et, en ce sens, s'eloignent de l'intention pemiere de Caraka, meme si elles sont logiquement valables. J. Filliozat voulait donc revenir a cette intention, a cette vue du medecin indien de l'antiquite qui reflechissait sur la facon pratique dont il travailllait a acquerir de nouvelles connaissances, que ce soit sur le corps du malade qu'il soignait, ou sur la destinee de la personne humaine en general, en ce monde et dans l'autre. D'autre part il examinait la litteralite du texte de la Samhita et insistait sur la valeur du sens etymologique du mot yukti. Pour lui l'idee d'ajustement etait imposee par la derivation a partir de la racine /yuj. Il proposait plusieurs traductions du terme, reposant sur cette idee: representation, conception coherente, expose adequat, theorie bien liee. Il retenait aussi l'idee de construction de l'esprit dans le sens de partie d'une enquete rationnelle visant la verite; d'un certain aspect la yukti est une hypothese descriptive, explicative. Il voyait la une des marques les plus sures du caractere rationnel de l'enquete scientifique et philosophique en Inde. A cote du terme d'ajustement rationnel' celui de 'theorie' semble approprie pour rendre le terme yukti. Il rend compte, non plus de l'etymologie, mais de la lettre de la definition de Caraka qui presente la yukti comme la vue par l'esprit d'un ajustement de choses dans une relation de causalite. Les exemples, le contexte la montrent aussi comme l'etablissement d'une theorie, l'etablissement d'une loi de causalite a partir de faits prealablement connus. Elle est une demarche rationnelle, en tant que pur travail de l'intellect pour aller plus avant dans la connaissance, pour ajouter au savoir un ensemble de connaissances general et nouveau. Le fait que Caraka l'ait comptee parmi les pramana ou moyens de connaissance droite, montre sa confiance dans le pouvoir de la raison de progresser dans la comprehension de la realite. On remarque que Caraka fait intervenir ce quatrieme pramana dans le contexte de la demonstration de l'existence de l'autre monde, non dans celui de l'examen medical 18 Op.cit. (voir note 9), p.84.

Warning! Page nr. 52 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

P.-S. Filliozat, Yukti, le quatrieme pramana des medecins... 45 proprement dit. Mais cela ne veut pas dire qu'il fait une difference entre les deux types d'enquete. Deux de ses exemples de yukti sont empruntes au domaine medical. La yukti prolonge l'inference, la multiplie et a ce titre s'en distingue. Plus l'objet vise par l'enquete s'eloigne des possibilites d'observation directe ou d'inference immediate, plus l'outil d'investigation devient complexe. C'est alors qu'il devient yukti. Et celle-ci dans l'illustration donnee par Caraka quand il veut prouver la theorie des renaissances paracheve la demonstration qu'il a commence par le recours aux trois autres pramana. On doit souligner l'originalite de ce concept de yukti. Il nous parait malaise de trouver un caractere commun aux divers emplois du mot. Le pramana ainsi appele n'est pas le composant de l'inference, ni la regle d'interpretation d'un traite (tantrayukti), ni la propriete d'aptitude en therapeutique, etc. Un essai d'unifier ces notions diverses, sous le chapitre du sens etymologique du mot, risquerait d'enlever au pramana sa specificite. On doit enfin souligner l'originalite de Caraka dans la speculation epistemologique indienne. On a vu qu'il etait malaise de ramener cette yukti a des concepts de logique classique, anumana et tarka, comme le faisaient Santaraksita et Cakrapani et que ce n'etait pas lui rendre pleine justice. Caraka est une etape importante de l'histoire de la logique, n'est pas un epigone d'autres ecoles, mais represente une contribution originale, profondement reflechie et dont il convient de preserver l'integrite. Summary: In the context of a description of the three pursuits of man, i. e. life, wealth and the other-world, in order to prove the existence of the survival and rebirth of the soul after death and to establish the capacity of the human mind to investigate matters beyond the senses, Caraka analyses the process of investigation as consisting of direct observation, inference, authoritative verbal testimony and yukti. He calls these four processes pramanas. Three of them are well-known; the fourth, yukti, has been expounded as a separate means of knowledge only by Caraka and only in one passage of his Samhita, namely in the Tisraisaniya chapter (Sutrasthana XI). His definition of yukti is: 'The thought which sees ideas born from the concourse of several causes, the object of which pertains to the three times, and by which the three pursuits are achieved, is known as yukti'. Examples are given and the application to the demonstration of rebirth is shown. Yukti is differentiated from inference by the fact that it establishes a theory from the concourse of a number of facts and does not start from direct observation, whereas inference is given as a mere conclusion of the existence of a punctual knowledge from an observed fact. Santaraksita appears to be the only thinker to have paid attention to Caraka's concept. He takes it as a process in which one observes the concomitance of presence and absence of two things and then deduces from it a relation of cause and effect between them. But he criticises this as being tautological: concomitance and causality are the same thing for him; and he thus rejects the idea of making yukti a separate means of knowledge. Caraka's commentator, Cakrapani, also does not accept yukti as a separate pramana. He understands it as a mere case of reasoning, a conjecture of a fact from a number of arguments. He equates it with the tarka of the Nyaya school. He justifies Caraka by saying that this process may be emphasised as it is in common use. Then he refers to another interpretation of yukti as the forecasting of a future fact from present observations, and quotes

Warning! Page nr. 53 has not been proofread. Click the page link to verify the generated OCR text with the original PDF.

Santaraksita's interpretation. He does not accept these two as being the real thoughts of Caraka. Among modern interpreters, S. Dasgupta follows Cakrapani's interpretation, which is influenced by classical Nyaya concepts. But Jean Filliozat tries to understand Caraka independently from later speculations. He emphasises the practical aspect of Caraka's approach, understanding Caraka's epistemology as a reflection, a self-analysis by a physician of his processes of thinking when he practised his art, or when he conducted investigations in order to acquire new contents of knowledge. In the history of Indian epistemology the originality of Caraka's approach and ideas must be underlined. It shows not only the rational character of his practice, but also his spirit of quest and research.

Let's grow together!

I humbly request your help to keep doing what I do best: provide the world with unbiased sources, definitions and images. Your donation direclty influences the quality and quantity of knowledge, wisdom and spiritual insight the world is exposed to.

Let's make the world a better place together!

Like what you read? Help to become even better: